Lors d’un colloque Cyberdéfense, Jean-Yves Le Drian a martelé l’importance de la « lutte informatique offensive » pour les forces françaises. Après l’air, la mer et la terre, gros plan sur cette « quatrième armée ».
Cambriolage, pénétrations informatiques, déstabilisation des ressources humaines, guerre de l’information… le monde des affaires est devenu un véritable champ de bataille où tous les coups sont permis. Jamais l’entreprise n’a été exposée à tant de risques et de menaces. Entretien avec Nicolas Moinet, co-auteur de « La Boîte à outils de la sécurité économique ».
De nombreux décideurs publics ont compris l’intérêt d’initier une démarche d’intelligence territoriale. Il s’agit d’analyser un périmètre géographique pour en comprendre les évolutions profondes. La démarche s’appuie sur un diagnostic territorial en trois phases : dresser un état des lieux, déterminer les enjeux et fixer les priorités du territoire. L’état des lieux présente les principales caractéristiques du territoire à partir de quatre dimensions. La dimension géographique du territoire insiste sur son aspect rural, urbain, transfrontalier, littoral ou de montagne. Elle peut aussi mettre en exergue son étendu, ses réseaux de communication ou son enclavement. La dimension socio-économique présente la structuration démographique et le développement de ses activités. La dimension gouvernance présente les réseaux d’acteurs, les logiques relationnelles et les niveaux de coopérations institutionnelles. La dimension culturelle présente les valeurs du territoire, son identité et parfois les stéréotypes le caractérisant. Sur le fondement de de cet état des lieux, le diagnostic territorial cherche à déterminer des enjeux. Il s’agit de faire le point sur les forces et faiblesses, les opportunités et les menaces pesant sur le territoire. Enfin, il faut pointer de véritables priorités territoriales qui permettront de fédérer des acteurs locaux, publics et privés, dans des logiques de partenariat. On le voit, cette démarche du diagnostic territorial s’avère stratégique pour les décideurs publics. Elle s’appuie sur la collecte, le traitement, l’analyse et la diffusion d’informations quantitatives et qualitatives. Elle permet de repenser le territoire dans la durée, de renforcer son attractivité et d’encourager la création de richesses. Au final, jamais la formule « gouverner c’est prévoir » n’aura été aussi vraie.
L’intelligence économique (IE) regroupe tous les moyens légaux et les techniques, notamment informatiques, mis en oeuvre par une entreprise pour collecter des informations à caractère économique sur une société, une organisation, un marché. Elle permet de faire face aux nombreux défis économiques liés à la mondialisation, mais ne s’apparente pas forcément à de l’espionnage industriel !
En 1994, le Commissariat Général au plan, a donné de l’IE la définition suivante : « ensemble des actions de recherche, de traitement et de diffusion (en vue de son exploitation) de l’information utile aux acteurs économiques ».
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Certaines définitions incluent également le déploiement de moyens de protection contre les tentatives externes de vol d’informations, d’espionnage, d’intrusion, etc. et leur prévention. Les spécialistes du domaine résument l’intelligence économique en un triptyque : veille (acquérir l’information stratégique pertinente), protection des informations (ne pas laisser connaître ses informations sensibles) et influence (propager une information ou des normes de comportement et d’interprétation qui favorisent sa stratégie).
Intelligence économique : quels outils de veille ?
L’intelligence économique repose sur divers éléments. Tout d’abord, des outils de veille (technologique, concurrentielle, stratégique…) destinés à collecter l’information. Ces outils alimentent le plus souvent un datawarehouse (entrepôt de données), partie intégrante d’un système plus vaste de gestion des connaissances (knowledge management).
Intelligence économique : l’ analyse des informations recueillies est essentielle Ce dernier assure la capitalisation et l’organisation des connaissances produites par l’entreprise et mais aussi de celles qui viennent à elle, afin d’en identifier les plus stratégiques. Une analyse de ces informations est ensuite nécessaire. Elle débouche en bout de chaîne sur une diffusion sélective des informations traitées.
Intelligence économique : pour définir des plans d’action
L’intelligence économique peut, soit rechercher des informations sur un sujet déterminé considéré comme stratégique (question posée par la direction conduisant à la recherche de renseignement), soit recueillir des informations sur le contexte de l’organisation à partir du processus de veille, discerner celles qui sont d’un intérêt stratégique pour l’entreprise, les structurer dans la mémoire collective, et définir les plans d’action.
Intelligence économique : sources ouvertes et perception de l’environnement
La première approche est l’approche classique du renseignement qui était adoptée par les services secrets. La deuxième approche est la nouvelle approche de l’intelligence économique, qui s’impose dorénavant en raison de l’importance du contexte dans le cadre de la mondialisation.
Elle privilégie la perception de l’environnement, en utilisant les sources ouvertes, qu’elles soient obtenues par les relations humaines ou des sources écrites. La vision actuelle de l’intelligence économique est une évolution très importante par rapport au renseignement classique, dans la mesure où l’apparition de l’internet (web, messageries électroniques) et des réseaux informatiques d’entreprise étendue (intranet, extranet) multiplie les émetteurs et les récepteurs, et permet un effet rétroactif qui n’existait pas à une grande échelle avec les systèmes télégraphiques et téléphoniques, et pas, sous une forme numérique, avec la radiodiffusion, et la télévision.
Intelligence économique : un avantage économique décisif
Lorsque l’on sait délivrer l’information stratégique et utile au bon moment, à la bonne personne, dans le bon contexte, on obtient un avantage compétitif décisif. Certaines entreprises sensibles, notamment dans des secteurs fortement concurrentiels, comme les industries de l’armement, pharmaceutique ou automobile, furent des précurseurs. Rares toutefois furent celles qui anticipèrent le virage de l’intelligence économique avec succès.
Ce qui est central dans l’intelligence économique est le fait qu’elle ne se réduit pas à l’accumulation désordonnée d’informations de toutes sortes. Il s’agit de produire de la connaissance structurée pour aider les entreprises à combattre et à se défendre dans la compétition économique d’un monde post-Guerre Froide. Le référentiel en intelligence économique publié en 2005 en France met l’accent sur la trilogie formée par l’acquisition de l’information (veille…), sa protection et enfin l’influence.
Intelligence économique : l’influence
L’insistance sur l’influence, (à la fois sous la forme du lobbying, de l’influence politique de soutien aux conquêtes de marchés par les entreprises, mais aussi de capacité d’imposer internationalement des normes, images, valeurs et idées générales favorables à vos desseins économiques) est une des caractéristiques des chercheurs français. À la différence de l’information qui fait l’objet de la veille ou de la protection du patrimoine informationnel et qui a besoin d’être vraie pour être utile, l’information dont traite l’influence est un objet de croyance.
Ce qui importe, ce n’est pas qu’elle soit conforme à la réalité mais que beaucoup y adhérent (ou du moins, ceux que l’on désire influencer, comme le législateur ou le dirigeant dans le cas du lobbying). Avec le débat sur le patriotisme économique, cette approche qui met largement l’accent sur les facteurs politiques, idéologiques et de communication de l’intelligence économique constitue une sorte de spécificité nationale.
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Intelligence économique : un contenu extrêmement riche
L’intelligence économique ne se résume pas à la veille. Selon les travaux de l’AFDIE (Association française pour le développement de l’intelligence économique), inspirés par les idées développées aux États-Unis par la Society of Competitive Intelligence Professionals (SCIP) la décennie précédente, l’intelligence économique comprend les tâches suivantes :
– Recherche et recueil des informations et des connaissances clés : Veille, recherche documentaire, investigation.
– Traitement et interprétation des données recueillies : Entretien des bases de données et de savoirs, administration de données, analyse, synthèse (construction de schémas interprétatifs et de modèles mentaux).
– Formulation des raisonnements stratégiques : Stratégie d’innovation, conduite de projets, anticipation et maîtrise des risques, évaluation des effets des décisions à prendre, réalisation de business wargames.
– Mise en oeuvre des actions et animation des réseaux : Animation de réseaux d’influence, déploiement préventif ou curatif des actions offensives ou défensives, préparation puis mise en oeuvre d’une war room, communication sur les valeurs.
– Évaluation des effets et mutualisation des pratiques : Étude d’impact, rétroveille sur les processus, échanges de pratiques et de savoirs, audit d’intelligence économique, auto-évaluation…
Intelligence économique : un manque de doctrine claire ?
Certains consultants en intelligence économique affirment que sa mise en place devrait avoir pour préalable l’évaluation de la culture stratégique de l’entreprise, en commençant par une phase d’audit d’intelligence économique, une veille sur les méthodes des concurrents et une analyse des meilleures pratiques à l’intérieur de l’organisation.
En 2006 déjà, en France, certains experts, comme Patrick Artus ont critiqué le manque de doctrine théorique dans la politique d’intelligence économique française. Patrick Artus appelle notamment à une « doctrine claire, qui pour l’instant n’a émergé ni à droite ni à gauche ». Ainsi, le gouvernement français n’a pas encore transposé en France les systèmes réseau centrés très développés aux États-Unis. Aujourd’hui, force est de constater que l’intelligence économique à la française se heurte toujours à une faiblesse numérique des sites internet en français.
Michel-Edouard Leclerc, PDG des enseignes du même nom, expose à L’Usine Digitale ses grandes orientations stratégiques et ce qu’il compte faire du milliard d’euros qu’il prévoit d’investir dans le groupe sur trois ans. Rénovation de la logistique, sites de e-commerce spécialisés, streaming musical… Le groupe de distribution se lance bel et bien dans le digital, mais sans précipitation : le patron, prudent face à la folie du big data, préfère laisser ses concurrents et les start-up prendre les risques liés au développement de nouvelles technologies. Selon lui, face à des clients qui ne sont pas tous passés au tout numérique, « anticiper l’évolution ce serait perdre le marché des 3 ou 4 ans de transition. »